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Fragments - Alexandre LABORIE

L'heure bleue

6 Août 2011, 00:40am

Publié par laborie.fragments

L’oubli était inévitable.

Dès le début, je le savais.

Ou plutôt la fin.

La fin de ce séjour Marocain.

J’avais gravé toutes les photos sur un CD que je n’ai jamais retrouvé.

Je ne dois donc compter que sur ma mémoire.

Mais celle-ci a du mal avec les paysages, elle préfère les odeurs et les corps.

Une silhouette dans le tableau et c’est l’assurance que mon cœur imprime mieux.

Ce matin, dans l’avion, j’ai rêvé que j’avais 90 ans, l’âge de mon grand-père et que je retrouvais le CD.

Et, à l’heure où j’écris ces lignes, un peu serré dans ce café de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam où je ne fais que passer, j’observe derrière la vitre un large panneau d’affichage incitant les voyageurs à se rendre à Essaouira.

Je ne me souviens pas avoir écrit là bas.

Je pensai au conte musical « la planète blanche », j’écrivais dans ma tête les premières chansons.

Mais sur Essaouira, rien.

Et c’est aujourd’hui que l’envie me prend grâce à un rêve et une affiche.

Et grâce à toi aussi dont le sourire et l’accent m’ont ramenés à cette terre.

Je me concentre sur mon petit cahier noir et j’essaie de voler à l’oubli quelques images.

Et ce que je vois d’abord, ce sont des bateaux imposants,  sur le port où je venais tous les jours, le matin, très tôt.

Je pense que le temps qui a passé les a rendus plus grands qu’ils n’étaient.

De larges bateaux, forts et fragiles à la fois.

Des bateaux en bois.

Ils semblaient d’un autre temps.

Il faisait sombre entre eux et je paraissais tout petit.

Mais j’aimais l’effervescence tout autour.

Voir surgir un jeune pêcheur, souple, bondissant d’une petite barque pour atteindre le quai puis escaladant comme un félin le côté du bateau pour se retrouver juché sur la proue en quelques secondes.

Cette image me revient et je souris comme un enfant, fier de l’avoir sauvé en la notant sur mon carnet.

Mais très vite, j’abandonne cette recherche d’images disparues car c’est la tienne qui vient s’imposer.

Toi qui m’a accompagné dans la médina,  au souk Jdid, dans le slalom nonchalant et électriques de cette après-midi là, entre les pyramides colorés d’épices, les marchés de céréales, de poissons.

Tu te souviens ?

Nous avions remarqué que chaque rue avait un parfum d’épice différent : curcuma, ras el hanout, cannelle, paprika.

Et le vieil homme que nous avions rencontré dans ce tout petit magasin à l’écart de l’agitation touristique ?

Les murs de sa boutique étaient couverts d’étagères sur lesquelles  se trouvaient des centaines de bocaux remplis d’herbes et de plantes dont il nous vantait les bienfaits pour la santé.

Je crois me souvenir de la fleur d’hibiscus, faudra que je vérifie.

En fin d’après midi, nous étions allés nous promener sur les remparts.

Les alizés venaient caresser les pierres ocres et rouges et lançaient sur nos visages quelques éclats d’océan qui se mêlaient à notre sueur.

Fiers sous le vent, nous avons longés les quelques canons dirigés vers l’horizon.

Arrivés à un des angles de la forteresse, juste au dessus de la falaise, tu as voulu que nous nous asseyions

Comme cette sqala qui entoure et protège la ville, tu as mis ton bras autour de mes épaules.

C’était l’heure bleue…

Ta peau, lorsque tu m’as embrassé, avait l’odeur raffinée et obsédante du bois de thuya que l’on sculpte dans cette région.

Cette odeur se mélangeait à l’ambre qui parfumait ton tee-shirt.

La nuit s’est installée doucement.

Derrière nous, sur le grand mur en pierre, quelques fenêtres étaient ouvertes.

Nous distinguions des ombres, entendions des rires étouffés.

Le temps semblait séduit par la douceur qui se répandait dans chaque rue.

Il lui donnait sa chance, s’arrêtait un peu pour elle.

De l’une des fenêtres, une musique s’est soudain échappée.

Tu m’as dit que tu trouvais cela très beau.

C’était du saxophone, un tempo très lent.

Sidney Bechet, interprétant « what is this thing called love ? »

Cela, comment pourrais-je l’oublier?

 

Alexandre LABORIE

Août 2011

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