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Fragments - Alexandre LABORIE

Les océans intérieurs

19 Février 2023, 19:02pm

Publié par Alexandre LABORIE

Ici, commençait le bout du monde.
J’aime la fin des terres.
Le panorama des possibles s’y incarne.
Voyageurs solitaires, exilés, fuyards en tout genre, mosaïque d’une humanité au bord de soi-même, de ses rêves comme du monde.
Ce jour maudit d’avril me hante si tu savais.
Je t’ai quitté et aujourd’hui je ne reconnais pas l’homme qui a bien pu faire cela.
Je t’écris chaque jour depuis cette date.
Il me fallait un paysage pour mon chagrin et mes regrets.
Quelque chose d’immense, à leur mesure.

Qu’il pleuve, bon sang ! dit-il, accoudé à la fenêtre du living room de cet hôtel de béton.
C’est si beau la pluie ici…puis voyant que je l’observe et me prenant à témoin : c’est comme les vêtements, il y a des gens…tout leur va…et bien cette baie là, tout lui va…mais moi, je la préfère habillée de pluie.
L’homme poursuit son soliloque pendant que mon regard se fixe sur un bateau, au loin, en train de tanguer.
Je décide de sortir et de marcher quelques heures, gravir cette petite montagne postée comme en vigie de tout un continent.

Aujourd’hui, tout à coup, je comprends pourquoi je suis venu ici, dans cette baie des Aiguilles et je réalise que l’on ne peut fuir certaines choses ou plutôt que ces choses fuient avec nous.
En équilibre précaire sur un monticule herbeux, j’observe ce point de rencontre de l’océan atlantique et de l’océan indien.
Le courant des Aiguilles et le courant de Benguela qui n’en finissent pas de se confondre mais dont le point de rencontre ne peut jamais être précisément définit.
Feux follets joueurs, insolents qui passent leur temps à se chercher tout en ne cessant jamais de se mêler.
J’observe ce miracle permanent.
Le bateau a disparu mais quelque chose continue de tanguer en moi.
Tous ces contraires avec lesquels nous devons composer et, sans cesse, nous réinventer.
Ce jour-là, devant cette baie, j’ai voulu faire la paix avec mes océans intérieurs.
Alors j’ai crié, oui, j’ai crié ma peine, ton prénom, ta mémoire, ta beauté, ma bêtise, mon amour, ma solitude, mon espoir, ma joie.
J’ai crié.
Je suis encore vivant.


©Alexandre LABORIE

 

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Tout de suite

19 Février 2023, 18:58pm

Publié par Alexandre LABORIE

Si j’étais ce silence précédant l’abandon, je m’offrirais à ton souffle.
Moi, le marin perdu dans des eaux troubles, sans compas ni rose des vents, je me laisserais guider par lui.
L’attente serait douce.
Comme un chat discret, je viendrais jardiner dans nos cœurs une promesse imminente.
Toutes les saisons seraient fertiles.

Même les yeux fermés, te trouver enfin, te reconnaitre.
Balancer dans l’oubli les mots crachés dans la lumière rouge de ma mélancolie.
Feindre d’oublier le chemin pour n’en revenir qu’à toi, devant moi.
Mes masques tombent et quelques larmes les suivent.
Le désir assumé, le désir dépassé, la joie d’être peut s’épanouir.
La joie d’une simple présence au centre de tout.
Hier encore, tu fixais des paysages intermittents, entre deux pages, dans la douce incertitude de tes nuits ferroviaires.

Et moi, j’attendais, slalomant entre les renards et les vautours et je me haïssais certains soirs de tant leur ressembler.
J’espérais ta force fragile, ta complexité d’emblée familière.
Cette lueur qui me brule et me rappelle à quel point il est urgent d’être vivant.
Oui, tout être, tout dire, tout écrire, et nous rejoindre enfin dans cet appétit de vivre émerveillé.
Car l’amour ce n’est pas hier, ce n’est pas demain.
C’est tout de suite, l’amour.

©Alexandre LABORIE

 

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Publié depuis Overblog

19 Février 2023, 18:32pm

Publié par Alexandre LABORIE

Il était une fois…
C’est comme ça que vous dites, je crois ?
Pour raconter vos histoires.
Je voudrais vous raconter la mienne.
A vous, que je regarde de loin, un peu jalouse je dois dire.
Jalouse de vos histoires justement.
Je les trouve fabuleuses même dans leur passage les plus sombres.
Elles respirent la vie, la mort, la révolution, le bruit, les fêtes.
Vous êtes riches, vous êtes de belles villes riches.
Riches de ces millions de cœur qui battent en même temps.
Vous ne l’entendez pas cette musique ?
« Ta-tan », « ta-tan », « ta-tan », la musique des cœurs qui battent.
Et le matin, ces reflets d’aube rose qui vous recouvrent, ils sont comme un sang qui jaillirait dans vos veines pavées.
L’été, sur une de vos places, sous un tilleul, il y a toujours des rires qui vous chatouillent, des confidences qui vous caressent.

Moi, j’étais un champ recouvert d’herbes folles, de plantes et d’arbres.
Le vert de leur feuillage, par la grâce du soleil, m’offrait toute une palette de nuances, chaque jour renouvelée, qui faisait mon bonheur.
J’étais libre, je jouais avec le vent.
Mon ami le vent.
Puis, un jour, il est arrivé.
L’Aigle, c’est comme cela qu’ils l’appellent.
Mais il n’a rien d’impressionnant.
Il est tout petit, à côté de ses immenses gardes serviles qui lui donnent du « Monseigneur » ou du « maître » à s’en assécher la gorge.
En quelques secondes, mon sort était scellé : je deviendrai sa chose, sa ville, sa vitrine.
Dès lors, tout s’est emballé, il fallait s’activer puisque l’Aigle l’avait décidé.
Des machines monstrueuses sont venues arracher mes arbres.
Mon âme, petit à petit, a été recouverte par le marbre des pavés des longues rues désertes.
Mon ami le vent avait disparu, aucun habitant n’avait rejoint la ville.
Tout était figé.
Une fois par an, l’Aigle revient accompagné d’une foule plus importante d’admirateurs.
Je deviens alors une sorte de cathédrale où l’on vient l’adorer.
Des bus venus de tout le pays conduisent une foule qui ne restera ici que quelques heures, contrainte et forcée.
L’Aigle parade, quelques photographes officiels prennent des clichés qui feront le tour du monde.
Il faut montrer au monde à quel point l’Aigle est aimé par son peuple, à quel point son peuple lui ait reconnaissant de lui avoir construit une si belle ville.
Puis tout le monde repart.

Le plus important, c’est de ne pas oublier nos rêves, ce que nous sommes vraiment.
Ne pas se trahir.
Ils m’ont transformé en ville mais je ne serai jamais une ville.
Je resterai un champ.
Sous les pavés de marbre bien dessinés, subsistent encore des cailloux.
J’ai remarqué, avec le temps, que par la force de ma pensée, mon esprit pouvait faire bouger les choses.
Soulever discrètement un pavé, libérer un caillou, puis deux, puis cent, puis des milliers.
Un jour, l’Aigle ne reconnaitra plus ses rues.
Il se retrouvera coincé dans une impasse.
Je commencerai ma révolution toute seule.
Quelques cœurs battants me rejoindront peut-être et tous ensemble, nous chasserons l’Aigle et ses gardes du corps loin d’ici.
Les herbes folles se libéreront.
Elles envahiront de nouveau l’espace.
Les arbres se remettront à pousser.
Et moi, je retrouverai mon ami le vent.

©Alexandre LABORIE

 

 

 

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